Page:Curwood - Kazan, trad. Gruyer et Postif.djvu/73

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— Jeanne, écoute-moi. Nous voici presque arrivés au logis. C’est notre fleuve, le Fleuve du Petit-Castor, qui coule au bout de cette plaine que nous dominons. Si je disparaissais et si demain, je suppose, tu te trouvais seule ici, tu n’aurais qu’à marcher en ligne droite pour arriver à notre cabane. Il n’y a pas plus de quinze milles. Tu m’entends bien ?

— Oui, père, je comprends.

— Quinze milles… Tout droit… jusqu’au fleuve… Il serait impossible, Jeanne, que tu te perdes. Il faudrait seulement que tu prennes garde, en suivant la glace du fleuve, aux poches d’air qui sont sous la neige.

— Oui, père… Mais viens te coucher, je t’en prie. Tu es harassé.. Tu es un peu malade aussi…

— Je finis ma pipe.

Et il insista :

— Jeanne, je te recommande par-dessus tout ces poches d’air où, sous la neige, il n’y a que le vide. Avec un peu d’attention, elles se devinent facilement. Là où elles sont, la neige est plus blanche que sur le reste de la glace et elle est trouée comme une éponge.

— Oui…i…i…

Pierre revint vers le feu et vers Kazan.

— Bonne nuit, petit, dit-il. Couché près des enfants, je serai mieux. Allons encore un jour. Quinze milles encore…

Kazan le vit entrer sous la tente. Il tira de toute sa force, sur son attache, jusqu’à ce que celle-ci lui coupât la respiration. Ses pattes et son dos se contractèrent. Dans la tente, il y avait Jeanne et l’enfant. Il savait bien que Pierre ne leur ferait aucun mal. Mais il savait aussi qu’avec Pierre quelque chose de sinistre et d’imminent était près d’eux. Il aurait voulu que le vieux demeurât près du feu. Alors, il