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L’ANNEAU DU NIBELUNG.

prendre sa place au répertoire de l’Opéra. C’est par lui que fut inauguré ce festival wagnérien, où, non sans quelque outrance, et à grands frais, l’on avait cherché à donner au public parisien une idée du théâtre de Bayreuth. Salle obscure, orchestre enfoncé, invisible (et même couvert d’une sorte de grille !) toutes choses nouvelles alors… L’exécution était excellente, ce qui valait certes mieux. Alfred Cortot, de retour, justement, de Bayreuth, et tout imbu de son enseignement, faisait ici ses débuts à la tête de l’orchestre. On regrettait bien le pauvre Lamoureux, que la mort avait empêché de réaliser de semblables représentations. Mais on convenait sans difficulté qu’un aussi grand effort ne pouvait guère être plus heureusement réalisé.

Dans Brunnhilde, Félia Litvinne vécut une des grandes heures de sa carrière, sa voix si pure, si ample, si moelleuse, d’une tenue si ferme, d’une égalité si absolue du grave à l’aigu, s’unissait, plus complètement que dans l’Isolde de 1899, à un jeu vivant, enthousiaste, plein d’émotion et de chaleur. Et quel art des nuances dans ces trois phases du rôle : le départ de Siegfried, qui, pour la première fois, fait sentir à la Valkyrie qu’elle est devenue une simple femme ; l’attente anxieuse de son retour, le fatal refus, qu’elle oppose aux dieux de rendre l’anneau, et l’atroce violence qu’elle subit du héros masqué qui ne la connaît plus ; enfin l’apaisement suprême au moment de la mort, qui est à la fois le retour de son intelligence divine et l’union définitive avec celui que le destin lui a réservé !

Le ténor lorrain Dalmorès avait mûri à Bruxelles son rôle de Siegfried : il y fit valoir de sérieuses qualités de sonorité, de clarté, de jeunesse, mais qu’une nervosité saccadée de diction et