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LOHENGRIN.

Jugement absurde et injuste. D’abord, peu d’Elsa furent aussi touchantes et d’une voix aussi pure, aussi nuancée, que Rose Caron, dont Reyer écrivait que « sa petite tête au profil de médaille, encadrée de longues boucles, sa robe de vestale, ses attitudes alanguies, ses gestes toujours si nobles, si expressifs, formaient un ensemble d’un charme inexprimable et tout à fait enveloppant ». Elle évoquait avec un tact parfait l’impression d’une âme ingénue et désarmée que trouble une vague terreur ; mais elle ne manquait ni d’émotion ni d’élan.

En face d’elle, Maurice Renaud donnait un relief des plus intéressants à Telramund. Avec une voix souple et mordante, très habilement conduite, il rendait vigoureusement cette spontanéité, constamment renaissante, d’un esprit borné mais qu’excite à propos la perfidie de celle qui le mène à son gré.

Puis c’était Delmas, plein d’autorité calme, superbe de voix et de caractère dans le Roi. Malheur à l’interprète qui ne sait pas maintenir à son rang suprême ce rôle en apparence secondaire : il fausse toute l’harmonie de l’ensemble. C’est une crainte qui ne venait jamais à la pensée avec un pareil artiste. On citera encore, au moins pour leur prestance et leur voix, Plançon et Édouard de Reszke ; on appréciera surtout le style large et sérieux d’André Gresse, le fils, qui en somme, après Delmas, reste le principal et le meilleur interprète de Henri l’Oiseleur.

Ortrude était moins heureusement incarnée, et du reste bien peu d’Ortrudes surent, ici, mettre en valeur la beauté de ce rôle. Ce n’est pas une grosse voix désordonnée et un jeu tumultueux qui peuvent donner à ce personnage farouche mais concentré le grand style qui lui est indispensable. On y eût souhaité, par