Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/105

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qu’elle a plusieurs fois pensé se faire massacrer au milieu des rues de Paris, par les harpies de la révolution.

Un jour, c’était peu de temps après la mort de Marat, elle passait avec moi, qu’elle portait sur ses bras, au milieu de la place du Carrousel. Par une confusion d’idées qui caractérise cette époque de vertige, on avait élevé là un autel révolutionnaire en l’honneur du martyr de l’athéisme et de l’inhumanité. Au fond de cette espèce de chapelle ardente était déposé, je crois, le cœur, si ce n’est le corps de Marat. On voyait des femmes s’agenouiller dans ce lieu nouvellement sanctifié, y prier, Dieu sait quel dieu, puis se relever en faisant avec recueillement le signe de la croix et une révérence au nouveau saint. Tous ces actes contradictoires peignent énergiquement le désordre des âmes et des choses à cette époque.

Exaspérée par ce spectacle, Nanette oublie que je suis dans ses bras, elle apostrophe la dévote de nouvelle espèce, et l’accable d’injures ; la furie pieuse répond en criant au sacrilége ; des paroles, elle en vient aux coups ; la foule entoure les deux ennemies : Nanette est la plus jeune et la plus forte, mais, gênée par la crainte de me blesser, elle a le dessous, et tombant à terre avec moi, elle perd son bonnet : elle se relève échevelée, cependant elle me tient toujours fidèlement serré contre sa poitrine ; de toutes parts