Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/133

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arracher d’un côté à la nation, de l’autre à une formidable masse de créanciers qui ne voulaient pas s’entendre, ce qui me revenait de la fortune de mon aïeule paternelle ; j’étais créancier, non héritier de mon grand-père, et ma mère était ma tutrice. Son amour pour moi l’empêcha toujours de se remarier ; d’ailleurs, devenue veuve par le bourreau, elle ne se sentait pas libre comme une autre femme.

Nos affaires, difficiles et embrouillées, ont fait son tourment ; les vicissitudes d’une liquidation des plus laborieuses ont attristé ma jeunesse comme l’échafaud avait épouvanté mon enfance. Toujours suspendus entre la crainte et l’espérance, nous luttions contre le besoin ; tantôt on nous promettait la richesse, tantôt un revers imprévu, une chicane habile, un procès perdu, nous rejetaient dans le dénûment. Si j’ai le goût de l’élégance, j’attribue ce penchant aux privations qui me furent imposées dans ma première jeunesse, et à celles dont je voyais souffrir ma mère. Il m’a été donné de ressentir un mal inconnu à l’enfance : le besoin d’argent ; je vivais si près de ma mère que je devinais tout par elle.

Cependant, quelques rayons de joie ont brillé pour elle. Un an après sa délivrance, elle obtint un passeport, et m’ayant laissé en Lorraine, toujours aux soins de ma bonne Nanette, elle alla en Suisse, où l’attendaient sa mère et son frère, qui ne pouvaient alors s’approcher plus près de la France.