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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/136

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ter sa fille à cet oracle de la philosophie d’alors. Le grand physionomiste, en apercevant ma mère, tourna vers madame de Sabran et s’écria :

« Ah ! madame, que vous êtes une heureuse mère ! votre fille est transparente ! Jamais je n’ai vu tant de sincérité, on lit à travers son front. »

Revenue en France, elle n’eut plus que deux intérêts, c’est-à-dire un seul : rétablir ma fortune et diriger mon éducation. Je lui dois tout ce que je suis et tout ce que j’ai.

Ma mère devint le centre d’un cercle de personnes distinguées, parmi lesquelles se trouvaient les premiers hommes de notre pays. M. de Chateaubriand est resté son ami jusqu’à la fin.

Elle avait pour la peinture presque un talent d’artiste ; jamais je ne lui ai vu passer un jour sans se renfermer de midi à cinq heures dans son atelier. Elle n’aimait point le monde : il l’intimidait, l’ennuyait et la dégoûtait. Elle en avait vu le fond trop vite. Cette expérience précoce lui avait donné la philosophie du malheur ; cependant elle avait apporté en naissant et elle conserva toute sa vie la générosité, qui est la vertu des existences prospères.

Sa timidité était proverbiale dans sa famille : son frère disait qu’elle avait plus peur d’un salon que de l’échafaud.

Pendant tout le temps de l’Empire, elle et ses amis