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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/154

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Il me semble que j’ai assisté à la scène ; la femme qui m’a conté le naufrage y était : elle admirait comme les autres le dévouement du jeune Français, et comme les autres, sans doute, elle n’a pas songé à demander comment s’appelait le sauveur de tant de malheureux. Nouvelle preuve qu’en toute occasion, l’ingratitude des obligés sert de lustre et de relief à la vertu du bienfaiteur.

Mais figurez-vous dans ces régions septentrionales la misère de tant de femmes, d’enfants déposés à demi nus sur un point désert de la côte du Mecklembourg par une froide nuit d’automne !

Malgré la force et le dévouement de notre compatriote, secondé de quelques matelots de diverses nations, cinq personnes périrent dans ce naufrage ; on attribue leur perte à la précipitation avec laquelle elles s’efforcèrent de sortir du bâtiment incendié. Cependant, je vous l’ai dit, ce magnifique vaisseau ne fut pas entièrement brûlé ; à la fin, on se rendit maître du feu, et le nouveau Nicolas Ier, sur lequel je vais m’embarquer demain, a été en grande partie reconstruit avec les débris de l’ancien. Des esprits superstitieux craignent que, par quelque fatalité, le malheur ne s’attache encore à ses restes ; moi, qui ne suis pas marin, je n’ai point cette peur poétique ; mais je respecte tous les genres de superstitions inoffensives, comme résultats de ce noble plaisir de croire