Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/201

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entre eux l’aisance, même la confiance ; on s’entend à demi-mot, chacun reconnaît sa manière de penser dans le langage de tous. On s’arrange les uns des autres pour la vie entière, et cette résignation se change en plaisir ; des voyageurs destinés à rester longtemps ensemble s’entendent mieux que ceux qui ne se rencontrent que pour un moment. De l’harmonie obligée naît la politesse générale qui n’exclut pas la variété : les esprits gagnent à ne marquer leur diversité que par des nuances délicates, et l’élégance du discours embellit tout sans nuire à rien, car la vérité des sentiments ne perd rien aux sacrifices qu’exige la délicatesse des expressions. Ainsi, grâce à la sécurité qui s’établit dans toute société exclusive, la gêne disparaît, et la conversation sans grossièreté devient d’une facilité, d’une liberté ravissantes.

Autrefois, en France, chaque classe de citoyens pouvait jouir de cet avantage ; c’était le temps de la bonne causerie, de la causerie des personnes habituées à se voir tous les jours. Nous avons perdu ce plaisir par beaucoup de raisons que je ne prétends pas déduire ici, mais surtout par le mélange abusif des hommes de tous états dans le même salon.

Ces hommes se réunissent par vanité au lieu de se chercher par plaisir. Depuis que tout le monde est partout, il n’y a de liberté nulle part, et l’aisance des manières est perdue en France. La gravité, la roi-