Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/207

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valeur : nous menons ici une vie qui ressemble à la vie de château par le mauvais temps ; on ne peut sortir, mais tout ce monde enfermé s’ennuierait si chacun ne s’efforçait de s’amuser en amusant les autres : ainsi la contrainte qui nous rapproche tourne à l’avantage de tous, mais c’est grâce à la sociabilité parfaite de quelques-uns des voyageurs que le hasard a rassemblés ici ; et surtout à l’aimable autorité du prince K***. Sans la violence qu’il nous fit dès les premiers instants du voyage, personne n’aurait rompu la glace, et nous serions restés à nous regarder en silence tout le temps de la traversée : cet isolement devant témoins est triste et gênant : au lieu de cela, on cause jour et nuit, la clarté des jours de vingt-quatre heures fait qu’on trouve à tous moments des personnes prêtes à se réunir ; ces jours sans nuits effacent le temps, on n’a plus d’heures fixes pour dormir ; depuis trois heures que je vous écris, j’entends mes compagnons de voyage rire et parler dans la cabine ; si j’y descends, ils me feront lire des vers et de la prose en français, ils me demanderont de leur conter des histoires de Paris. On ne cesse de m’interroger sur mademoiselle Rachel, sur Duprez, les deux grandes réputations dramatiques du jour ; on désire attirer ici ces talents fameux puisqu’on ne peut obtenir la permission d’aller les entendre chez nous.

Quand le lancier français, conquérant et commer-