Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Or, il y a une vingtaine d’années que l’Empereur Alexandre passait par Revel ; en visitant l’église principale de cette ville, il aperçoit le cadavre et se récrie contre ce hideux spectacle : on lui conte l’histoire du prince de Croï ; il ordonne que le corps soit mis en terre le lendemain, et l’église purifiée.

Le lendemain l’Empereur part et le corps du prince de Croï est porté au cimetière ; à la vérité, le surlendemain il était replacé dans l’église, à l’endroit même où l’avait laissé l’Empereur.

S’il n’y a pas de justice en Russie, vous voyez qu’il y a des habitudes plus fortes que la loi suprême.

Ce qui m’a le plus amusé, pendant cette trop courte traversée, c’est que je me suis vu sans cesse obligé de justifier la Russie contre le prince K***. Ce parti, que j’ai pris sans aucun calcul, uniquement pour obéir à mon instinct d’équité, m’a valu la bienveillance de tous les Russes qui nous entendent causer. La sincérité des jugements que cet aimable prince K*** porte sur son pays me prouve, au moins, qu’en Russie quelqu’un peut avoir son franc parler. Quand je lui dis cela, il me répond qu’il n’est pas Russe !  ! Singulière prétention !… Russe ou étranger, il dit ce qu’il pense ; on le laisse parler, parce qu’il a occupé de grands emplois, dissipé deux fortunes, et que sa pauvreté ôte du poids à ses discours ; parce qu’il a usé la faveur de plusieurs souverains ; qu’il est vieux, ma-