Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/244

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être !… Partout ailleurs que sous le despotisme absolu, quand les hommes font de grands efforts, c’est pour arriver à un grand but : il n’y a que chez les peuples aveuglément soumis, que le maître peut ordonner d’immenses sacrifices pour produire peu de chose.

La vue des forces maritimes de la Russie, réunies pour l’amusement du Czar, l’orgueil de ses flatteurs et l’instruction de ses apprentis à la porte de sa capitale, ne m’a donc causé qu’une impression pénible. J’ai senti au fond de cet exercice de collége une volonté de fer employée à faux, et qui opprime les hommes pour se venger de ne pouvoir vaincre les choses. Des vaisseaux qui seront nécessairement perdus en peu d’hivers sans avoir servi me représentent, non la force d’un grand pays, mais les sueurs inutilement versées du pauvre peuple. L’eau glacée plus de la moitié de l’année est le plus redoutable ennemi de cette marine de guerre : chaque automne, au bout de trois mois d’exercice, l’écolier rentre dans sa cage, le jouet dans sa boîte, et la gelée fait seule une guerre sérieuse aux finances impériales.

Lord Durham l’a dit à l’Empereur lui-même, et par cette franchise il le blessait dans l’endroit le plus sensible de son cœur dominateur : « Les vaisseaux de guerre des Russes sont les joujoux de l’Empereur de Russie. »