Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/257

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ils avaient des yeux sans regard, un teint vert et jaune. On me dit que c’étaient des matelots attachés à la garnison ; ils ressemblaient à des soldats. Le grand jour était venu depuis longtemps, et il ne nous avait apporté guère plus de lumière que l’aurore ; l’air était étouffant, et le soleil, encore peu élevé, mais réfléchi sur l’eau, m’incommodait. Quelquefois les canots tournaient autour de nous en silence sans que personne montât à notre bord ; d’autrefois six ou douze matelots déguenillés, à demi couverts de peaux de mouton retournées, la laine en dedans et le cuir crasseux en dehors, nous amenaient un nouvel agent de police, ou un officier de la garnison, ou un douanier en retard ; ces allées et venues, qui n’avançaient pas nos affaires, me donnaient au moins le loisir de faire de tristes réflexions sur l’espèce de saleté particulière aux hommes du Nord. Ceux du Midi passent leur vie à l’air, à demi nus ou dans l’eau ; ceux du Nord, presque toujours renfermés, ont une malpropreté huileuse et profonde qui me paraît repoussante ; je préfère la négligence des peuples destinés à vivre sous le ciel et nés pour se chauffer au soleil.

L’ennui auquel les minuties-russes nous condamnaient me donna aussi l’occasion de remarquer que les grands seigneurs du pays sont peu endurants pour les inconvénients de l’ordre public, quand cet ordre pèse sur eux.