Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/264

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maintes parures, maints objets de luxe, peut-être même des livres, pesaient sur ces consciences qui la veille affrontaient les flots sans trouble, et qui maintenant étaient bourrelées à la vue d’un commis !… Je lisais dans les yeux des femmes l’attente des maris, des enfants, de la couturière, du coiffeur, du bal de la cour ; et j’y lisais que, malgré les protestations de la veille, je n’existais déjà plus pour elles. Les gens du Nord ont des cœurs incertains, des sentiments douteux ; leurs affections sont toujours mourantes comme les pâles lueurs de leur soleil : ne tenant à rien, ni à personne, quittant volontiers le sol qui les a vus naître ; créés pour les invasions, ces peuples sont uniquement destinés à descendre du pôle à des époques marquées par Dieu, pour rafraîchir les races du Midi brûlées par le feu des astres et par l’ardeur des passions.

Aussitôt arrivés à Pétersbourg, mes amis, servis selon leur rang, furent délivrés ; ils quittèrent leur prison de voyage sans même me dire adieu, à moi qu’ils laissaient courbé sous le poids des fers de la police et de la douane. À quoi bon dire adieu ? j’étais mort. Qu’est-ce qu’un voyageur pour des mères de famille ?… Pas un mot cordial, pas un regard, pas un souvenir ne me fut accordé !… C’était la toile blanche de la lanterne magique après que les ombres y ont passé. Je vous le répète : je m’attendais bien