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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/317

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brées de débris de bâtisses ; un air de tristesse règne dans toute la communauté, qui, malgré la tolérance dont elle jouit, m’a paru peu opulente et surtout peu rassurée. En Russie, la tolérance n’a pour garantie ni l’opinion publique, ni la constitution de l’État : comme tout le reste, c’est une grâce octroyée par un homme ; et cet homme peut retirer demain ce qu’il donne aujourd’hui.

En attendant le moment d’entrer chez le prieur, je me suis arrêté dans l’église ; là, j’ai rencontré sous mes pieds une pierre où je lus un nom qui m’a vivement ému : Poniatowski !… Royale victime de la fatuité, ce trop crédule amant de Catherine II est enterré là, sans aucune marque de distinction ; mais, dépouillé de la majesté du trône, il lui reste la majesté du malheur qui ne lui fait pas faute ; les infortunes de ce prince, son aveuglement si cruellement puni, et la perfide politique de ses ennemis, rendront tous les chrétiens et tous les voyageurs attentifs à son obscur tombeau.

Près de ce roi exilé a été déposé le corps tronqué de Moreau. L’Empereur Alexandre l’a fait rapporter là de Dresde. L’idée de réunir les restes de deux hommes si à plaindre, afin de confondre dans une même prière les souvenirs de leurs destinées manquées, me paraît une des plus nobles pensées de ce prince qui, ne l’oublions jamais, a paru grand à son