Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/328

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celui des autres hommes ; mais lorsqu’on ne peut rien changer à rien, la pensée inutile s’envenime dans l’âme, qu’elle empoisonne faute d’autre emploi. Et voilà pourquoi dans le grand monde russe on danse à tout âge.

Une fois l’été passé, une pluie fine comme des aiguilles tombe incessamment pendant des semaines. Alors, en deux jours, on voit les bouleaux des îles se dépouiller de leurs feuilles, les maisons de leurs fleurs et de leurs habitants ; les rues, les ponts se couvrent de chars à déménagement, d’équipages crottés où s’entassent pêle-mêle avec le désordre, l’incurie et la malpropreté naturels aux peuples de race slave, des meubles, des étoffes, des planches, des caisses[1], et pendant que ce convoi de l’été s’achemine à pas lents vers l’autre extrémité de la ville, quelques équipages à quatre chevaux, quelques droschki élégants reconduisent rapidement dans leur séjour d’hiver les propriétaires de ces trésors emmagasinés jusqu’à l’année suivante. Voilà comment l’homme riche du Nord, revenu des trop passagères illusions de son été, fuit devant la bise, et comment les ours et les loups rentrent en possession de leurs légitimes domaines ! Le silence reprend ses anciens droits sur les marais glacés, et la société fri-

  1. L’auteur a assisté lui-même à ce désenchantement lors de son retour de Moscou.