Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/341

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Il y en a qui, lorsqu’on les met en vente, envoient au loin prier un maître dont la réputation de bonté est venue jusqu’à eux, de les acheter, eux, leurs terres, leurs enfants et leurs bêtes, et si ce seigneur, célèbre parmi eux pour sa douceur (je ne dis pas pour sa justice, le sentiment de la justice est inconnu en Russie, même parmi les hommes dénués de tout pouvoir), si ce seigneur désirable n’a pas d’argent, ils lui en donnent afin d’être sûrs qu’ils n’appartiendront qu’à lui. Alors le bon seigneur, pour contenter ses nouveaux paysans, les achète de leurs propres deniers et les accepte comme serfs ; puis il les exempte d’impôts pendant un certain nombre d’années et les dédommage ainsi du prix de leurs personnes qu’ils lui ont payé d’avance, en acquittant pour lui la somme qui représente la valeur du domaine dont ils dépendent, et dont ils l’ont, pour ainsi dire, forcé de devenir propriétaire. Voilà comment le serf opulent met le seigneur pauvre en état de le posséder à perpétuité, lui et ses descendants. Heureux de lui appartenir et à sa postérité, pour échapper par là au joug d’un maître inconnu, ou d’un seigneur réputé méchant. Vous voyez que la sphère de leur ambition n’est pas encore bien étendue.

Le plus grand malheur qui puisse arriver à ces hommes plantes, c’est de voir leur sol natal vendu : on les vend toujours avec la glèbe à laquelle ils sont