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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/352

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obscurité : personne n’ose se souvenir de lui ni même croire à sa vie, non pas à sa vie présente, mais à sa vie passée. En Russie, le jour de la chute d’un ministre, les amis deviennent sourds et aveugles. Un homme est enterré aussitôt qu’il a l’air disgracié. Je dis l’air, parce qu’on ne s’avance jamais jusqu’à dire qu’un homme soit disgracié, quoiqu’il le paraisse quelquefois. Avouer la disgrâce c’est tuer. Voilà pourquoi la Russie ne sait pas aujourd’hui si le ministre qui la gouvernait hier existe. Sous Louis XV, l’exil de M. de Choiseul fut un triomphe ; en Russie la retraite de M. de Repnin est la mort.

À qui le peuple en appellera-t-il un jour du mutisme des grands ? Quelle explosion de vengeance prépare contre l’autocratie l’abdication d’une aussi lâche aristocratie ? Que fait la noblesse russe ? elle adore l’Empereur, et se rend complice des abus du pouvoir souverain pour continuer elle-même à opprimer le peuple, qu’elle fustigera tant que le Dieu qu’elle sert lui laissera le fouet et la main (notez que c’est elle qui a créé ce dieu). Était-ce là le rôle que lui réservait la Providence dans l’économie de ce vaste Empire ? Elle en occupe les postes d’honneur. Qu’a-t-elle fait pour les mériter ? Le pouvoir exorbitant et toujours croissant du maître est la trop juste punition de la faiblesse des grands. Dans l’histoire de Russie personne, hors l’Empereur, n’a fait son métier ; la noblesse, le