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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/117

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LETTRE QUINZIÈME.


Péterhoff, ce 23 juillet 1839.

Il faut considérer la fête de Péterhoff de deux points de vue différents : le matériel et le moral ; sous ces deux rapports le même spectacle produit des impressions contraires.

Je n’ai rien vu de plus beau pour les yeux, de plus triste pour la pensée, que ce rassemblement soi-disant national de courtisans et de paysans, qui se réunissent de fait dans les mêmes salons sans se rapprocher de cœur. Socialement ceci me déplaît, parce qu’il me paraît que l’Empereur, par ce faux luxe de popularité, abaisse les grands sans relever les petits. Tous les hommes sont égaux devant Dieu, et, pour un Russe, Dieu, c’est le maître : ce maître suprême est si loin de la terre qu’il ne voit pas de distance entre le serf et le seigneur ; des hauteurs où réside sa sublimité, les petites nuances qui divisent le genre humain échappent à ses augustes regards. C’est ainsi que les aspérités qui hérissent la surface du globe s’évanouiraient aux yeux d’un habitant du soleil.

Lorsque l’Empereur ouvre librement, en apparence, son palais aux paysans privilégiés, aux bourgeois choisis qu’il admet deux fois l’an à l’honneur