Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/137

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l’apprentissage de la discrétion, on frémit. Il faut venir ici pour prendre la réserve en haine ; tant de prudence révèle une tyrannie secrète, et dont l’image me devient présente en tous lieux. Chaque mouvement de physionomie, chaque réticence, chaque inflexion de voix m’apprend le danger de la confiance et du naturel.

Il n’est pas jusqu’à l’aspect des maisons qui ne reporte ma pensée vers les douloureuses conditions de l’existence humaine en ce pays.

Si je passe le seuil du palais de quelque grand seigneur, et que j’y voie régner une saleté dégoûtante, mal déguisée sous un luxe non trompeur ; si, pour ainsi dire, je respire la vermine jusque sous le toit de l’opulence, je ne me dis pas : voici des défauts, et partant de la sincérité !… non, je ne m’arrête point à ce qui frappe mes sens, je vais plus loin, et je me représente aussitôt l’ordure qui doit empester les cachots d’un pays où les hommes riches ne craignent pas la malpropreté pour eux-mêmes ; lorsque je souffre de l’humidité de ma chambre, je pense aux malheureux exposés à celle des cachots sous-marins de Kronstadt, de la forteresse de Pétersbourg et de bien d’autres tombeaux politiques dont j’ignore jusqu’au nom ; le teint hâve des soldats que je vois passer dans la rue me retrace les rapines des employés chargés de l’approvisionnement de l’armée ; la fraude