Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/30

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ne sont les plus riches de Pétersbourg : on traite ici ces voyageurs avec une bienveillance marquée : ils vivent dans l’intimité de la famille Impériale ; le goût de la chasse et les souvenirs du voyage de l’Empereur à Londres, quand il était grand-duc, ont établi entre lui et le marquis D*** cette espèce de familiarité qui me paraît devoir être plus agréable aux princes qu’aux particuliers devenus l’objet d’une telle faveur. Où l’amitié est impossible, l’intimité me semble gênante. On dirait quelquefois, à voir les manières des fils du marquis envers les personnes de la famille Impériale, qu’ils pensent là-dessus comme moi. Si la franchise gagne les hommes de cour, où la louange se réfugiera-t-elle et la politesse avec elle[1] ?

  1. Quelques jours après que cette lettre fut écrite, il se passa dans l’intérieur de la cour une petite scène qui fera connaître les manières des jeunes gens les plus à la mode aujourd’hui en Angleterre ; ceux-ci n’ont rien à reprocher ni à envier aux agréables les plus impolis de Paris : il y a loin de ce genre d’élégance brutale à la politesse des Buckingham, des Lauzun et des Richelieu. L’Impératrice voulait donner un bal intime à cette famille près de quitter Pétersbourg. Elle commence par inviter elle-même le père qui danse si bien avec sa jambe de bois. « Madame, répond le vieux marquis***, on m’a comblé à Pétersbourg, mais tant de plaisirs surpassent mes forces : j’espère que Votre Majesté me permettra de prendre congé d’elle ce soir et de me retirer demain matin sur mon yacht pour retourner en Angleterre ; sans cela je mourrais de joie en Russie. Eh bien, je renonce à vous, » reprend l’Impératrice, satisfaite de cette réponse polie, et digne de l’époque où le vieux lord dut entrer dans le monde ; puis se retournant vers les