Aller au contenu

Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pressés un quart d’heure et beaucoup plus ; j’aimerais mieux relayer plus promptement, et faire la poste avec un peu moins de rapidité. Au moment où je quittai le poulain surmené et le jeune postillon désespéré, je ne sentis pas le remords. Il ne m’est venu qu’en réfléchissant, et surtout en vous écrivant : la honte a réveillé le repentir. Vous voyez qu’on se corrompt vite à respirer l’air du despotisme… que dis-je ? en Russie le despotisme est sur le trône, mais la tyrannie est partout.

Si vous faites la part de l’éducation et des circonstances, vous reconnaîtrez que le seigneur russe le plus habitué à subir et à exercer le pouvoir arbitraire, ne peut commettre au fond de sa province une barbarie plus blâmable que l’acte de cruauté dont je me suis rendu coupable hier au soir par mon silence.

Moi, Français, qui me crois doux de caractère, qui prétends à être civilisé de longue date, qui voyage chez un peuple dont j’observe les mœurs avec une attention sévère, voilà qu’à la première occasion d’exercer un petit acte de férocité inutile, je succombe à la tentation ; le Parisien se conduit en Tatare ! le mal est dans l’air…

En France, où l’on sait respecter la vie, même chez les animaux, si mon postillon n’eût pas songé à sauver le poulain, j’aurais fait arrêter pour appeler