Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/24

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menacée d’abandon. Je n’ai garde de les prêcher ; néanmoins je rappellerai à ces glorieux esprits que la pire des intolérances est l’intolérance philosophique.

Je ne puis vivre de la vie du monde parce que ses intérêts, son but ou du moins les moyens qu’il emploie pour les défendre et pour l’atteindre n’ont rien qui m’inspire cette émulation salutaire, sans laquelle un homme est vaincu d’avance dans les luttes d’ambition ou de vertu qui font la vie des sociétés. Là le succès se compose de deux problèmes contraires : vaincre ses rivaux et faire proclamer sa victoire par ses rivaux. Voilà pourquoi il est si difficile à conquérir une fois, si rare pour ne pas dire si impossible à obtenir longtemps…

J’y ai renoncé même avant l’âge du découragement. Puisque je dois cesser de lutter un jour, j’aime mieux ne pas commencer : c’est ce que mon cœur me disait en me rappelant la belle expression du prédicateur des gens du monde : « Tout ce qui finit est si court ! » Là-dessus je laisse défiler sans envie comme sans dédain le cortége de nos audacieux jouteurs qui croient que le monde est à eux parce qu’ils se donnent à lui.

Accordez-moi mon congé sans craindre que jamais les soldats viennent à manquer à vos batailles, et laissez-moi tirer tout le parti possible de mon loisir et de mon indifférence ; ne voyez-vous pas d’ailleurs