Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/31

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ple muselé, on entendra tant de disputes que le monde étonné se croira revenu à la confusion de Babel : c’est par les dissensions religieuses qu’arrivera quelque jour une révolution sociale en Russie.

Lorsque je m’approche de l’Empereur, que je vois sa dignité, sa beauté, j’admire cette merveille ; un homme à sa place, c’est chose rare à rencontrer par tout ; mais sur le trône, c’est le phénix. Je me réjouis de vivre dans un temps où ce prodige existe, vu que j’aime à respecter, comme d’autres se plaisent à insulter.

Toutefois j’examine avec un soin scrupuleux les objets de mon respect ; il arrive de là que lorsque je considère de près ce personnage unique sur la terre, je crois que sa tête est à deux faces comme celle de Janus, et que les mots violence, exil, oppression, ou leur équivalent à tous, Sibérie, sont gravés sur celui des deux fronts que je ne vois pas.

Cette idée me poursuit sans cesse, même quand je lui parle. J’ai beau m’efforcer de ne penser qu’à ce que je lui dis, mon imagination voyage malgré moi de Varsovie à Tobolsk, et ce seul nom de Varsovie me rend toute ma défiance.

Savez-vous qu’à l’heure qu’il est les chemins de l’Asie sont encore une fois couverts d’exilés nouvellement arrachés à leurs foyers, et qui vont à pied chercher leur tombe comme les troupeaux sortent du