Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/195

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notre temps, à Londres comme à Paris. Invitée à un grand dîner de cérémonie, et placée entre le maître de la maison et un inconnu, elle s’ennuyait ; elle s’ennuya longtemps ; car, bien que la mode des dîners éternels commence à passer en Angleterre, ils y sont toujours plus longs qu’ailleurs ; la dame, prenant son mal en patience, cherchait à varier la conversation, et sitôt que le maître de la maison lui laissait un instant de répit, elle tournait la tête vers son voisin de droite ; mais elle trouvait toujours visage de pierre ; et, malgré sa facilité de grande dame et sa vivacité de femme d’esprit, tant d’immobilité la déconcertait. Le dîner se passa dans ce découragement ; un morne sérieux s’ensuivit ; la tristesse est pour les visages anglais ce que l’uniforme est pour les soldats. Le soir, quand tous les hommes furent de nouveau réunis aux femmes dans le salon, celle de qui je tiens cette histoire n’eut pas plutôt aperçu son voisin, l’homme de pierre du dîner, que celui-ci, avant de la regarder en face, s’en alla chercher à l’autre bout de la chambre le maître de la maison, pour le prier, d’un air solennel, de l’introduire auprès de l’aimable étrangère. Toutes les cérémonies requises, dûment accomplies, le voisin de gauche prit enfin la parole, et tirant sa respiration du plus profond de sa poitrine, tout en s’inclinant respectueusement : J’étais bien empressé, madame, lui dit-il, de faire votre connaissance. »