Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/226

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qu’il occupe : un tel changement de fortune l’éblouit au point de lui persuader qu’il n’est pas de la même espèce que ces hommes abattus devant lui, que ces hommes auxquels il se trouve soudain avoir droit de commander. Ce n’est point un paradoxe que je mets en avant quand je soutiens que l’aristocratie de la naissance pouvait seule adoucir la condition des serfs en Russie, et les disposer à profiter de l’affranchissement, par des transitions douces et insensibles. Leur asservissement actuel leur devient insupportable à l’égard des nouveaux riches. Les anciens naissent au-dessus d’eux, c’est dur : mais ils naissent chez eux, avec eux, c’est une consolation ; et puis l’habitude de l’autorité est naturelle aux uns comme celle de l’esclavage l’est aux autres, et l’habitude émousse, atténue tout : elle adoucit l’injustice chez les forts, elle allége le joug chez les faibles : voilà pourquoi la mobilité des fortunes et des conditions produit des résultats monstrueux dans un pays soumis au régime du servage ; toutefois c’est cette mobilité qui fait la durée de l’ordre de choses actuel en Russie parce qu’elle lui concilie une foule d’hommes qui savent en tirer parti : second exemple du remède puisé à la source du mal. Terrible cercle dans lequel tournent fatalement toutes les populations de ce vaste Empire !!… Un tel état social est un inextricable filet dont chaque maille devient un nœud qui se resserre