Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/25

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pire pour moi que le mal réel ; car je ne pouvais me persuader que cette hideuse armée ne renfermât pas quelques escadrons invisibles à la lueur de ma lampe et dont la présence me serait révélée au grand jour. L’idée que la couleur de leur armure protégeait ceux-ci contre mes recherches, me rendait fou : ma peau était brûlante, mon sang bouillonnait, je me sentais dévoré par d’imperceptibles ennemis ; et dans ce moment, je crois que, si l’on m’eût donné le choix, j’aurais mieux aimé combattre des tigres que cette milice des gueux, qui fait leur richesse ; car on jette l’argent aux mendiants de peur des présents en nature que le pauvre, s’il était rebuté, pourrait faire au riche dédaigneux. Cette milice fait aussi souvent la gloire des saints, car l’extrême austérité marche quelquefois de compagnie avec la malpropreté, alliance impie et contre laquelle les vrais amis de Dieu ne peuvent tonner assez haut. Et que deviendrai-je, moi, pécheur, stigmatisé sans profit pour le ciel par la vermine de la pénitence ? me disais-je avec un accent de désespoir qui m’aurait paru comique dans un autre ; me lever, marcher au milieu de ma chambre, ouvrir les fenêtres, tout cela me calmait un instant ; mais le fléau me poursuivait partout. Les chaises, les tables, les plafonds, les pavés, les murs, étaient vivants ; je n’osais m’approcher d’un meuble, de peur de revenir infecter ensuite tout ce qui est à moi. Mon valet de