Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/255

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duit des effets aussi fantastiques que la lumière des feux de Bengale : ce sont de vrais nuages d’opéra. Aujourd’hui, vers le coucher du soleil, j’ai voulu contempler ce spectacle au Kremlin, dont j’ai fait le tour extérieurement avec autant d’admiration et presque autant de surprise que la première fois.

La ville des hommes était séparée du palais des géants par une gloire du Corrége : c’était une sublime réunion des merveilles de la peinture et de la poésie.

Le Kremlin, comme le point le plus élevé du tableau, recevait les dernières lueurs du jour, tandis que les vapeurs de la nuit enveloppaient déjà le reste de la ville. L’imagination ne sentait plus ses bornes ; l’univers, l’infini, Dieu même, appartenaient au poëte témoin d’un si majestueux spectacle….. c’était Martin, coloriste, ou plutôt c’était le vivant modèle de ses tableaux les plus extraordinaires. Le cœur me battait de crainte et d’admiration, je voyais se relever toute la cohorte des hôtes surnaturels du Kremlin ; leurs figures brillaient pareilles à des démons peints sur un fond d’or, ils s’avançaient flamboyants vers les régions de la nuit, dont ils s’apprêtaient à déchirer le voile ; je n’attendais plus que la foudre : c’était terriblement beau.

Les masses blanches et irrégulières du palais reflétaient inégalement l’oblique lumière d’un crépuscule agité ; ces variétés de teintes étaient le résultat des