Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/346

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d’autant plus impatient qu’il est censé tout-puissant, avec la persévérance d’un caractère de fer, est allé dérober bien vite à l’Europe les fruits de la civilisation tout venus, au lieu de se résigner à en jeter lentement les semences dans son propre terrain : cet homme trop vanté n’a produit qu’une œuvre factice : c’est étonnant ; mais le bien qu’a fait ce génie barbare fut passager, le mal est irréparable.

Qu’importe à la Russie de se sentir peser sur l’Europe ? d’influer sur la politique de l’Europe ? Intérêts factices ! passions vaniteuses ! Ce qui lui importait, c’était d’avoir en elle-même le principe de la vie et de le développer : une nation qui n’a rien à elle que son obéissance n’est pas vivante. On a mis celle-ci à la fenêtre : elle regarde, elle écoute, elle agit comme un homme assis au spectacle agit ; quand fera-t-on cesser ce jeu ?

Il faudrait s’arrêter et recommencer : un tel effort est-il possible ? peut-on reprendre en sous-œuvre un si vaste édifice ? La trop récente civilisation de l’Empire russe, toute factice qu’elle est, a déjà produit des résultats réels, et que nul pouvoir humain ne saurait annuler : il me paraît impossible de diriger l’avenir d’un peuple en comptant pour rien le présent. Mais le présent, quand il a été violemment séparé du passé, ne promet que du malheur : éviter ces malheurs à la Russie, en la forçant de tenir compte