Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/40

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rénité à laquelle se tromperaient les anges. Leur naïf et caractéristique dicton me revient sans cesse à la pensée, comme il leur revient à la bouche : « Notre Seigneur aussi volerait s’il n’avait pas les mains percées[1]. »

Ne croyez pas que le vol soit seulement le vice des paysans : il y a autant d’espèces de vol qu’il y a de rangs dans la hiérarchie sociale. Un gouverneur de province sait qu’il est menacé, comme la plupart de ses confrères, d’aller finir ses jours en Sibérie. Mais, si durant le temps qu’on le laisse en place, il a l’esprit de voler suffisamment pour pouvoir se défendre dans le procès qu’on lui fera avant de l’exiler, il se tirera d’affaire, tandis que si, par impossible, il était resté honnête homme et pauvre, il serait perdu. Cette remarque n’est pas de moi, je la tiens de la bouche de plusieurs Russes que je crois dignes

  1. « Lycurgus considera au larrecin la vivacité, diligence, hardiesse et adresse qu’il y a à surprendre quelque chose de son voysin, et l’utilité qui revient au public que chascun en regarde plus curieusement à la conservation de ce qui est sien ; et estima que de cette double institution à assaillir et à deffendre, il s’en tiroit du fruict à la discipline militaire ( qui estoit la principale science et vertu quoy il vouloit duire cette nation) de plus grande consideration que n’estoit le désordre et l’iniustice de se prévaloir de la chose d’aultruy. » (Essais de Montaigne, liv. II, chap. XII, Apologie de Raimond Sebond, page 299. Paris, chez F. Didot frères, 1836.)