Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/76

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tation qu’il m’eût paru impoli de refuser : tout ce qui m’est offert ici l’est avec tant de bon goût, que ni la fatigue ni l’envie de me retirer afin de vous écrire ne me suffisent pour défendre ma liberté : une pareille hospitalité est une douce tyrannie ; je sens qu’il serait indélicat de s’y soustraire. On met une voiture à quatre chevaux, une maison à ma disposition, une famille entière s’occupe à me distraire, à me montrer le pays : c’est à qui s’empressera de me faire les honneurs de quelque chose ; et cela se passe sans compliments affectés, sans protestations superflues, sans empressement importun, avec une simplicité souveraine : je n’ai pas appris à résister à tant de bonne grâce, à dédaigner tant d’élégance ; je céderais, ne fût-ce que par instinct patriotique, car il y a au fond de ces manières si agréables un souvenir d’ancienne France qui me touche et me séduit ; il me semble que je ne suis venu jusqu’aux frontières du monde civilisé que pour y recueillir une part de l’héritage de l’esprit français au xviiie siècle, esprit depuis longtemps perdu chez nous. Ce charme inexprimable des bonnes manières et du langage simple me rappelle le paradoxe d’un des hommes les plus spirituels que j’aie connus : « Il n’y a pas, disait-il, une mauvaise action ou un mauvais sentiment qui n’aient leur source dans un défaut de savoir-vivre ; aussi la vraie politesse est-elle de la vertu : c’est toutes les vertus réunies. »