Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 4, Amyot, 1846.djvu/80

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plet ; mais je me dois la justice d’ajouter que je n’en eus pas l’envie.

Après avoir pris congé de mes aimables hôtes que je dois retrouver à la foire de Nijni, je suis retourné à mon auberge, fort satisfait de la journée que je viens de vous raconter. La maison de paysan d’avant hier où j’étais hébergé, vous savez comment, et le salon d’aujourd’hui ; le Kamtchatka et Versailles, à trois heures de distance : voilà la Russie. Je vous sacrifie mes nuits pour vous peindre ce pays tel que je le vois. Ma lettre n’est pas finie, et déjà l’aube paraît.

Les contrastes sont brusques en ce pays ; tellement que le paysan et le seigneur ne me semblent pas appartenir à la même terre. Il y a une patrie pour le serf et une patrie pour le maître. L’État est divisé en lui-même, et l’unité n’y est qu’apparente : les grands y ont l’esprit cultivé comme s’ils devaient vivre dans un autre pays ; et le paysan est ignorant, sauvage comme s’il était soumis à des seigneurs qui lui ressemblent.

C’est bien moins l’abus de l’aristocratie que je reproche au gouvernement russe, que l’absence d’un pouvoir aristocratique autorisé et dont les attributions seraient nettement et constitutionnellement définies. Les aristocraties politiquement reconnues m’ont toujours paru bienfaisantes, tandis que l’aristocratie qui n’a de fondement que les chimères ou les