besoin où il était aujourd'hui de leur reconnaissance.
Mais qu'était la fortune auprès des autres coups qui frappaient Lemonnier, lorsqu'il voyait ses protecteurs, ses amis les plus chers, tomber successivement sous la hache des bourreaux ; lorsque ces beaux jardins qu'il avait plantés, dévastés par des barbares, ne lui présentaient plus que des idées lugubres ; lorsqu'il ne pouvait même parcourir le sien sans croire y rencontrer les ombres sanglantes des hommes illustres ou vertueux qu'il y avait autrefois reçus !
Ne dissimulons pas cependant une circonstance qui, si elle diminue quelque chose du mérite de sa résignation, fait le plus bel éloge de son cœur et est honorable pour l'humanité : il ne fut abandonné par aucun des amis que la mort ne lui enleva pas.
Jusqu'à ses derniers jours il fut entouré d'un cercle aimable, qu'attirait sa conversation toujours douce et gaie, toujours nourrie d'une quantité d'anecdotes piquantes et placées à propos. Deux de ses nièces faisaient tour à tour le charme de cette société, et dissipaient les moindres nuages qui auraient pu altérer la tranquillité du bon vieillard. Aussi répéta-t-il souvent : Mes dernières années ont été les plus heureuses.
Comment peindre le dévouement de la plus jeune, la seule restée libre ? Dans toute la fraîcheur de la jeunesse, dans tout l'éclat de la beauté, elle veut être son épouse. L'épouse d'un octogénaire devenu pauvre ! C'est qu'une épouse seule pouvait avec décence prendre les soins dont son cœur lui annonçait la prochaine nécessité. Dès lors elle ne le quitte plus : pendant dix mois