Page:Cuvier - Recueil des éloges historiques vol 1.djvu/290

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Sa dernière maladie fut une de celles qui nous étonnent toujours, quelques communes qu'elles soient.

Le chagrin de la perte de sa femme, les inquiétudes que lui causèrent les couches douloureuses de sa fille, madame de Juvenel, à qui il était tendrement attaché, l'y disposèrent peut-être ; une chute faile dans les Pyrénées y contribua sans doute aussi. Quoi qu'il en soit, frappé une nuit d'une apoplexie légère, mais soigné par son frère et par M. Dumas, son collègue, il reprit bientôt ses mouvements, l'usage de ses sens, les facultés de son esprit, et même cette mémoire qu'il avait eue autrefois si prodigieuse. Un seul point ne lui fut pas rendu ; il ne put jamais prononcer ni écrire correctement les noms substantifs et les noms propres, soit en français, soit en latin, quoique tout le reste de ces deux langues fût demeuré à son commandement. Les épithètes, les adjectifs se présentaient en foule, et il savait les accumuler dans ses discours d'une manière assez frappante pour se faire comprendre. Voulait-il désigner un homme, il rappelait sa figure, ses qualités, ses occupations ; parlait-il d'une plante, il peignait ses formes, sa couleur : il en reconnaissait le nom quand on le lui montrait du doigt dans un livre, mais ce nom fatal ne se présentait jamais de lui-même à son souvenir.

Cette incompréhensible faculté de la mémoire serait-elle donc répartie dans des cases indépendantes les unes des autres, et les images y seraient-elles distribuées d'après les abstractions grammaticales, plutôt que d'après les sensations originaires dont elles dérivent ?