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XVIII.


DE LA TAHITIENNE.




La Tahitienne n’est plus la provoquante Sirène des premiers récits des navigateurs, et on ne la voit plus, comme au temps des Wallis, des Bougainville et des Cook, s’élancer à la nage dans l’eau calme des baies et venir au-devant du navire qui franchit la coupure du récif. Elles ne sont plus ces femmes naïves, qui, réunies au nombre de plusieurs centaines, confectionnaient des nattes ou de la tapa, au bruit des chants et des danses. Les unes étendaient sur le métier sonore du Mara (bois du Nauclea rotundifolia), les écorces fraîches de l’Aute (Broussonetia), du Burau (Hibiscus) ou de l’Uru (Artocarpus), et les battaient en cadence avec le Ie (maillet pesant), tandis que d’autres, frappant dans leurs mains, exécutaient la Hiva, aux ondulations gracieuses et pleines de volupté ! Puis elles changeaient de rôle sans jamais perdre la mesure, et, par ce divertissement, donnaient au travail un attrait qui, toutes nonchalantes qu’elles fussent, le leur rendait facile. Moins vénales que de nos jours, leurs faveurs n’en étaient que plus désirables et plus vivement recherchées, et ces charmantes filles de la nature, sans souci du lendemain, se livraient tout entières aux joies du jour présent.

Mais la civilisation, si toutefois on peut donner ce nom aux changements introduits par les Européens dans les mœurs de ce peuple, la civilisation a développé en lui des goûts, lui a créé des habitudes et des besoins dont il se serait bien passé. Aussi, offre-t-il aujourd’hui un air de préoccupation et comme un cachet de mélancolie que jadis on ne lui connaissait pas, triste fruit de prétendus progrès aussi intempestifs que mal appropriés.