Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/73

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comme je m’efforçois à déprendre ma penſée de la memoire de ſes contes obſcurs, m’eſtant enfoncé dans voſtre petit bois aprés un quart d’heure, ce me ſemble, de chemin, j’apperceus un manche de balet qui ſe vint mettre entre mes jambes & à califourchon, bon-gré mal-gré que j’en euſſe, & je me ſentis envoler par le vague de l’air. Or ſans me ſouvenir de la route de mon enlevement, je me trouvay ſur mes pieds au milieu d’un deſert où ne ſe rencontroit aucun ſentier ; je repaſſay cent fois ſur mes briſées : mais cette ſolitude m’eſtoit un nouveau Monde, je reſolus de penetrer plus loin ; mais ſans appercevoir aucun obſtacle, j’avois beau pouſſer contre l’air, mes efforts ne me faiſoient rencontrer par tout que l’impoſſibilité de paſſer outre. À la fin fort haraſſé, je tombay ſur mes genoux ; & ce qui m’étonna davantage, ce fut d’avoir paſſé en un moment de midy à minuit. Je voyois les Eſtoilles luire au Ciel avec un feu bluetant, la Lune eſtoit en ſon plein, mais beaucoup plus pâle qu’à l’ordinaire : Elle éclipſa trois fois, & trois fois devala de ſon cercle ; les vents étoient paralytiques, les fontaines eſtoient muettes, les Oyſeaux avoient oublié leur ramage, les Poiſſons ſe croyoient enchaſſez