Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/102

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je montai dedans et lorsque je fus bien ferme et bien appuyé sur le siège, je ruai fort haut en l’air cette boule d’aimant. Or la machine de fer que j’avois forgée tout exprès plus massive au milieu qu’aux extrémités, fut enlevée aussitôt, et dans un parfait équilibre, à cause qu’elle se poussoit toujours plus vite par cet endroit. Ainsi donc à mesure que j’arrivois où l’aimant m’avoit attiré, je rejetois aussitôt ma boule en l’air au-dessus de moi. — Mais l’interrompis-je, comment lanciez-vous votre balle si droit au-dessus de votre chariot, qu’il ne se trouvât jamais à côté ? — Je ne vois point de merveille en cette aventure, me dit-il ; car l’aimant poussé, qu’il étoit en l’air, attiroit le fer droit à soi ; et par conséquent il étoit impossible que je montasse jamais à côté. Je vous dirai même que tenant ma boule en ma main, je ne laissois pas de monter, parce que le chariot couroit toujours à l’aimant que je tenois au-dessus de lui ; mais la saillie de ce fer pour s’unir à ma boule étoit si violente qu’elle me faisoit plier le corps en double, de sorte que je n’osai tenter qu’une fois cette nouvelle expérience. À la vérité c’étoit un spectacle à voir bien étonnant, car l’acier de cette maison volante, que j’avois poli avec beaucoup de soin, réfléchissoit de tous côtés la lumière du Soleil si vive et si brillante, que je croyois moi-même être tout en feu. Enfin après avoir beaucoup rué (44) et volé après mon coup, j’arrivai comme vous avez fait en un terme où je tombois vers ce monde-ci ; et pour ce qu’en cet instant je tenois ma boule bien serrée entre mes mains, ma machine dont le siège me pressoit pour approcher de son attractif ne me quitta point : tout ce qui me restoit à craindre, c’étoit de me rompre le col ; mais pour m’en garantir, je rejetois ma boule de temps en temps, afin que la violence de la machine retenue par son attractif se ralentit, et qu’ainsi ma chute fût moins rude, comme