Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/124

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férente. Lorsqu’on sort de chez eux, ils demandent à proportion des frais un acquit pour l’autre monde ; et dès qu’on le leur a donné, ils écrivent dans un grand registre qu’ils appellent les comptes de Dieu, à peu près en ces termes : « Item, la valeur de tant de Vers délivrés un tel jour, à un tel, que Dieu doit rembourser aussitôt l’acquit reçu du premier fonds qui s’y trouvera ; » et lorsqu’ils se sentent en danger de mourir, ils font hacher ces registres en morceaux, et les avalent, parce qu’ils croient que s’ils n’étoient ainsi digérés, Dieu ne pourvoit pas les lire, et cela ne leur profiteroit de rien. »

Cet entretien n’empêchoit pas que nous ne continuassions de marcher, c’est-à-dire mon porteur à quatre pattes sous moi, et moi à califourchon sur lui. Je ne particulariserai point davantage les aventures qui nous arrêtèrent sur le chemin, qu’enfin nous terminâmes à la Ville où le Roi fait sa résidence. Je n’y fus pas plutôt arrivé, qu’on me conduisit au Palais, où les Grands me reçurent avec des admirations plus modérées que n’avoit fait le peuple quand j’étois passé dans les rues. Mais la conclusion que j’étois sans doute la femelle du petit animal de la Reine fut celle des Grands comme [celle] du peuple. Mon guide me l’interprétoit ainsi ; et cependant lui-même n’entendoit point cette énigme, et ne savoit qui étoit ce petit animal de la Reine ; mais nous en fûmes bientôt éclaircis, car le Roi, quelque temps après m’avoir considéré, commanda qu’on l’amenât, et à une demi-heure de là je vis entrer au milieu d’une troupe de singes qui portoient la fraise et le haut de chausses, un petit homme bâti presque tout comme moi, car il marchoit à deux pieds, sitôt qu’il m’aperçut, il m’aborda par un « criado de vou estra merced (72) » ; je lui ripostai sa révérence à peu près en mêmes termes. Mais, hélas ! ils ne nous eurent pas