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Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/126

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solitude de ma brutificacion. Un jour, mon mâle (car on me prenoit pour sa femelle) me conta que ce qui l’avoit véritablement obligé de courir toute la terre, et enfin de l’abandonner pour la Lune, étoit qu’il n’avoit pu trouver un seul pays où l’imagination même fut en liberté. « Voyez-vous, me dit-il, à moins de porter un bonnet, quoi que vous puissiez dire de beau, s’il est contre les principes des Docteurs de drap (74), vous êtes un idiot, un fou, et quelque chose de pis. On m’a voulu mettre en mon pays à l’inquisition pource qu’à la barbe des pédans j’avois soutenu qu’il y avoit du vide dans la Nature (75) et que je ne connoissois point de matière au monde plus pesante l’une que l’autre. » Je lui demandai de quelles probabilités il appuyoit une opinion si peu reçue. « Il faut, me répondit-il, pour en venir à bout, supposer qu’il n’y a qu’un élément ; car encore que nous voyions de l’eau, de la terre, de l’air et du feu séparés, on ne les trouve jamais pourtant si parfaitement purs, qu’ils ne soient encore engagés les uns avec les autres. Quand, par exemple, vous regardez du feu, ce n’est pas du feu, ce n’est que de l’air beaucoup étendu, l’air n’est que de l’eau fort dilatée (76), l’eau n’est que de la terre qui se fond, et la terre elle-même n’est autre chose que de l’eau beaucoup resserrée ; et ainsi à pénétrer sérieusement la matière, vous connoîtrez qu’elle n’est qu’une, qui comme excellente comédienne joue ici-bas toutes sortes de personnages, sous toutes sortes d’habits (77) ; autrement il faudroit admettre autant d’élémens qu’il y a de sortes de corps, et si vous me demandez pourquoi le feu brûle, et l’eau refroidit, vu que ce n’est qu’une seule matière, je vous réponds que cette matière agit par sympathie, selon la disposition où elle se trouve dans le temps qu’elle agit. Le feu qui n’est rien que de la terre encore plus répandue qu’elle ne l’est pour constituer