Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/140

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de ces badauds, mais je me trompe de blâmer ainsi la vaillance de vos braves sujets ; ils font bien de mourir pour leur patrie ; l’affaire est importante car il s’agit d’être le vassal d’un Roi qui porte une fraise ou de celui qui porte un rabat.

— Mais vous, lui repartis-je, pourquoi toutes ces circonstances en votre façon de combattre ? Ne suffit-il pas que les armées soient en pareil nombre d’hommes ? — Vous n’avez guère de jugement, me répondit-elle. Croiriez-vous, par votre foi, ayant vaincu sur le pré votre ennemi seul à seul, l’avoir vaincu de bonne guerre, si vous étiez maillé (88), et lui non ; s’il n’avoit qu’un poignard, et vous une estocade (89) ; enfin s’il étoit manchot, et que vous eussiez deux bras ? Cependant avec toute l’égalité que vous recommandez tant à vos gladiateurs, ils ne se battent jamais pareils ; car l’un sera de grande, l’autre de petite taille ; l’un sera adroit, l’autre n’aura jamais manié d’épée ; l’un sera robuste, l’autre foible ; et quand même ces disproportions seroient égales, qu’ils seroient aussi adroits et aussi forts l’un que l’autre, encore ne seroient-ils pas pareils, car l’un des deux aura peut-être plus de courage que l’autre ; et sous l’ombre que cet emporté ne considérera pas le péril, qu’il sera bilieux, qu’il aura plus de sang, qu’il avoit le cœur plus serré, avec toutes ces qualités qui font le courage, comme si ce n’étoit pas aussi bien qu’une épée, une arme que son ennemi n’a point, il s’ingère de se ruer éperdument sur lui, de l’effrayer, et d’ôter la vie à ce pauvre homme qui prévoit le danger, dont la chaleur est étouffée dans la pituite, et duquel le cœur est trop vaste pour unir les esprits nécessaires à dissiper cette glace qu’on appelle « poltronnerie ». Ainsi vous louez cet homme d’avoir tué son ennemi avec avantage, et le louant de hardiesse, vous le louez d’un péché contre nature, puisque sa