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Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/144

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en sa présence. Cette façon de faire ne me surprit pas, car je savois que c’étoit la posture où ils se mettoient quand ils vouloient discourir en public. Je rengainai seulement ma harangue, et voici celle que nous eûmes de lui :

« Justes, écoutez-moi ! vous ne sauriez condamner cet Homme, ce Singe, ou ce Perroquet, pour avoir dit que la Lune est un Monde d’où il venoit ; car s’il est homme, quand même il ne seroit pas venu de la Lune, puisque tout homme est libre, ne lui est-il pas libre aussi de s’imaginer ce qu’il voudra ? Quoi ! pouvez-vous le contraindre à n’avoir pas vos visions ? Vous le forcerez bien à dire que la Lune n’est pas un Monde, mais il ne le croira pas pourtant ; car pour croire quelque chose, il faut qu’il se présente à son imagination certaines possibilités plus grandes au oui qu’au non ; à moins que vous ne lui fournissiez ce vraisemblable, ou qu’il ne vienne de soi-même s’offrir à son esprit, il vous dira bien qu’il croit, mais il ne le croira pas pour cela.

« J’ai maintenant à vous prouver qu’il ne doit pas être condamné, si vous le posez dans la catégorie des bêtes. Car supposé qu’il soit animal sans raison, en auriez-vous vous-mêmes de l’accuser d’avoir péché contre elle ? Il a dit que la Lune étoit un monde ; or les bêtes n’agissent que par instinct de Nature ; donc c’est la Nature qui le dit, et non pas lui. De croire que cette savante Nature qui a fait le Monde et la Lune ne sache ce que c’est elle-même, et que vous autres qui n’avez de connoissance que ce que vous en tenez d’elle, le sachiez plus certainement, cela seroit bien ridicule. Mais quand même la passion vous feroit renoncer à vos principes, et que vous supposeriez que la Nature ne guidât pas les bêtes, rougissez à tout le moins des