Aller au contenu

Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/167

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avoir ramassé en un lieu toutes les choses nécessaires à produire ce chêne ? Je vous réponds que ce n’est pas merveille que la matière ainsi disposée ait formé un chêne, mais que la merveille eût été plus grande, si, la matière ainsi disposée, le chêne n’eût pas été produit ; un peu moins de certaines figures, c’eût été un orme, un peuplier, un saule ; un peu moins de certaines figures, c’eût été la plante sensitive, une huître à l’écaille, un ver, une mouche, une grenouille, un moineau, un singe, un homme. Quand, ayant jeté trois dés sur une table, il arrive rafle de deux ou bien de trois, quatre et cinq, ou bien deux six et un, direz-vous : « Ô le grand miracle ! À chaque dé il « est arrivé le même point (108), tant d’autres points pouvant arriver ! Ô le grand miracle ! il est arrivé trois points qui se suivent. Ô le grand miracle ! il est arrivé justement deux six, et le dessous de l’autre six ! » Je suis assuré qu’étant homme d’esprit, vous ne ferez jamais ces exclamations ; car puisqu’il n’y a sur les dés qu’une certaine quantité de nombres, il est impossible qu’il n’en arrive quelqu’un. Et, après cela, vous vous étonnez comment cette matière, brouillée pêle-mêle au gré du hasard, peut avoir constitué un homme, vu qu’il y avoit tant de choses nécessaires à la construction de son être. Vous ne savez donc pas qu’un million de fois cette matière, s’acheminant au dessein d’un homme, s’est arrêtée à former tantôt une pierre, tantôt du plomb, tantôt du corail, tantôt une fleur, tantôt une comète, et tout cela à cause du plus ou du moins de certaines figures qu’il falloit, ou qu’il ne falloit pas, à désigner (109) un homme (110) ? Si bien que ce n’est pas merveille qu’entre une infinité de matières qui changent et se remuent incessamment, elles aient rencontré à faire le peu d’animaux, de végétaux, de minéraux que nous voyons ; non plus que ce n’est pas merveille qu’en cent coups de dés