Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/191

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dois fier à vous, comme je fais, en m’y abandonnant de tout mon cœur. » Je n’eus pas plutôt achevé cette parole, qu’il s’enleva comme un tourbillon et me tenant entre ses bras, il me fit passer, sans incommodité, tout ce grand espace que nos Astronomes mettent entre nous et la Lune, en un jour et demi ; ce qui me fit connoître le mensonge de ceux qui disent qu’une meule de moulin seroit trois cent soixante et tant d’années à tomber du Ciel, puisque je fus si peu de temps à tomber du globe de la Lune en celui-ci. Enfin au commencement de la seconde journée, je m’aperçus que j’approchois de notre Monde. Déjà je distinguois l’Europe d’avec l’Afrique, et ces deux d’avec l’Asie, lorsque je sentis le soufre que je vis sortir d’une fort haute montagne : cela m’incommodoit, de sorte que je m’évanouis. Je ne puis pas dire ce qui m’arriva ensuite ; mais je me trouvai ayant repris mes sens dans des bruyères sur la pente d’une colline, au milieu de quelques pâtres qui parloient italien. Je ne savois ce qu’étoit devenu mon Démon, et je demandai à ces pâtres s’ils ne l’avoient point vu. À ce mot ils firent le signe de la Croix, et me regardèrent comme si j’en eusse été un moi-même. Mais leur disant que j’étois Chrétien, et que je les priois par charité de me conduire en quelque lieu où je pusse me reposer, ils me menèrent dans un village à un mille de là, où je fus à peine arrivé, que tous les chiens du lieu depuis les bichons jusqu’aux dogues, se vinrent jeter sur moi, et m’eussent dévoré si je n’eusse trouvé une maison où je me sauvai. Mais cela ne les empêcha pas de continuer leur sabbat, en sorte que le maître du logis m’en regardoit de mauvais œil ; et je crois que dans le scrupule où le peuple augure de ces sortes d’accidents, cet homme étoit capable de m’abandonner en proie à ces animaux, si je ne me fusse avisé que ce qui les acharnoit ainsi après moi, étoit le