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de la contagion (164), je me couchai vis-à-vis, le ventre contre terre, et d’une voix piteuse me mis à geindre fort langoureusement. À peine étois-je là, que j’entendis les cris de cette enrouée populace longtemps avant le bruit de leurs pieds ; mais j’eus encore assez de jugement pour me tenir en la même posture, dans l’espérance de n’en être point connu, et je ne fus point trompé ; car me prenant tous pour un pestiféré, ils passèrent fort vite, en se bouchant le nez, et jetèrent la plupart un double sur mon mouchoir.

L’orage ainsi dissipé, j’entre sous une allée, je reprends mes habits, et m’abandonne encore à la Fortune ; mais j’avois tant couru qu’elle s’étoit lassée de me suivre. Il le faut bien croire ainsi : car à force de traverser des places et des carrefours, d’enfiler et couper des rues, cette glorieuse Déesse n’étant pas accoutumée de marcher si vite, pour mieux dérober ma route, me laissa choir aveuglement aux mains des Archers qui me poursuivoient. À ma rencontre ils foudroyèrent une huée si furieuse, que j’en demeurai sourd. Ils crurent n’avoir point assez de bras pour m’arrêter, ils y employèrent les dents, et ne s’assuroient pas encore de me tenir ; l’un me traînoit par les cheveux, un autre par le collet, pendant que les moins passionnés me fouilloient. La quête fut plus heureuse que celle de la prison, ils trouvèrent le reste de mon or.

Comme ces charitables Médecins s’occupoient à guérir l’hydropisie de ma bourse, un grand bruit s’éleva, toute la place retentit de ces mots : Tue ! tue ! et en même temps je vis briller des épées. Ces Messieurs qui me traînoient, crièrent que c’étoient les Archers du Grand Prévôt (165) qui leur vouloient dérober cette capture. « Mais prenez garde, me dirent-ils, me tirant plus fort qu’à l’ordinaire, de choir entre leurs mains, car vous seriez condamné en vingt-quatre heures, et le Roi ne