Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/257

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

en Rossignol, pour adoucir leur travail (188) par les charmes de la Musique (189). Je suivois sans voler la rapide volée de mon Peuple, car je m’étois perché sur la tête d’un de mes vassaux, et nous suivions toujours notre chemin, quand un Rossignol habitant d’une Province du Pays opaque que nous traversions alors, étonné de me voir en la puissance d’un Aigle (car il ne nous pouvoit prendre que pour tels qu’il nous voyoit) se mit à plaindre mon malheur ; je fis faire halte à mes gens, et nous descendîmes au sommet de quelques arbres où soupiroit ce charitable Oiseau. Je pris tant de plaisir à la douceur de ses tristes chansons, qu’afin d’en jouir plus longtemps et plus à mon aise, je ne le voulus pas détromper. Je feignis sur-le-champ une histoire dans laquelle je lui contai les malheurs imaginaires qui m’avoient fait tomber aux mains de cet Aigle. J’y mêlai des aventures si surprenantes, où les passions étoient si adroitement soulevées et le chant si bien choisi pour la lettre, que le Rossignol en étoit tout hors de lui-même. Nous gazouillions l’un après l’autre réciproquement l’histoire en musique de nos mutuelles amours. Je chantois dans mes airs, que non-seulement je me consolois, mais que je me réjouissois encore de mon désastre, puisqu’il m’avoit procuré la gloire d’être plaint par de si belles chansons ; et ce petit inconsolable me répondoit dans les siens, qu’il accepteroit avec joie toute l’estime que je faisois de lui, s’il savoit qu’elle lui pût faire mériter l’honneur de mourir à ma place ; mais que la Fortune n’ayant pas réservé tant de gloire à un malheureux comme lui, il acceptoit de cette estime seulement ce qu’il en falloit pour m’empêcher de rougir de mon amitié. Je lui répondois encore à mon tour avec tous les transports, toutes les tendresses et toutes les mignardises d’une passion si touchante, que je l’aperçus deux ou trois fois sur la branche prêt à mourir d’amour. À la