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Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/259

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Oiseau se sentit aveugle, il se forma derechef une vue toute neuve. Je réprimandai doucement le Rossignol de son action trop précipitée ; et jugeant qu’il seroit dangereux de lui cacher plus longtemps notre véritable être, je me découvris à lui, je lui contai qui nous étions. Mais le pauvre petit, prévenu que ces barbares dont j’étois prisonnier, me contraignoient à feindre cette fable, n’ajouta nulle foi à tout ce que je lui pus dire. Quand je connus que toutes les raisons par lesquelles je prétendois le convaincre s’en alloient au vent, je donnai tout bas quelques ordres à dix ou douze mille de mes sujets, et incontinent le Rossignol aperçut à ses pieds une rivière couler sous un bateau, et le bateau flotter dessus ; il n’étoit grand que ce qu’il devoit l’être pour me contenir deux fois. Au premier signal que je leur fis paroître, mes Aigles s’envolèrent, et je me jetai dans l’esquif, d’où je criai au Rossignol, que s’il ne pouvoit encore se résoudre à m’abandonner sitôt, qu’il s’embarquât avec moi. Dès qu’il fut entré dedans, je commandai à la rivière de prendre son flux vers la région où mon peuple voloit. Mais la fluidité de l’onde étant moindre que celle de l’air, et par conséquent la rapidité de leur vol plus grande que celle de notre navigation, nous demeurâmes un peu derrière. Durant tout le chemin, je m’efforçai de détromper mon petit hôte ; je lui remontrai qu’il ne devoit attendre aucun fruit de sa passion, puisque nous n’étions pas de même espèce ; qu’il pouvoit bien l’avoir reconnu, quand l’Aigle, à qui il avoit crevé les yeux, s’en étoit forgé de nouveaux en sa présence, et lorsque par mon commandement douze mille de mes vassaux s’étoient métamorphosés en cette rivière et ce bateau sur lequel nous voguions. Mes remontrances n’eurent point de succès ; il me répondoit, que pour l’Aigle que je voulois faire accroire qui s’étoit forgé des yeux