Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/263

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remit en convalescence. Enfin plusieurs femmes grosses qui ont fait monstres leurs enfans déjà formés dans la matrice, parce que leur imagination, qui n’étoit pas assez forte pour se donner à elles-mêmes la figure des monstres qu’elles concevoient, l’étoit assez pour arranger la matière du fœtus, beaucoup plus chaude et plus mobile que la leur, dans l’ordre essentiel à la production de ces monstres. Je me persuadai même que, si quand ce fameux hypocondre de l’antiquité s’imaginoit être cruche, sa matière trop compacte et trop pesante avoit pu suivre l’émotion de sa fantaisie, elle auroit formé de tout son corps une cruche parfaite ; et il auroit paru à tout le monde véritablement cruche, comme il se le paroissoit à lui seul. Tant d’autres exemples dont je me satisfis, me convainquirent en telle sorte, que je ne doutai plus d’aucune des merveilles que l’Homme-Esprit m’avoit racontées. Il me demanda si je ne souhoitois plus rien de lui ; je le remerciai de tout mon cœur. Et ensuite il eut encore la bonté de me conseiller, que puisque j’étois habitant de la Terre, je suivisse le Rossignol aux régions opaques du Soleil, parce qu’elles étoient plus conformes aux plaisirs qu’apète (192) la nature humaine. À peine eut-il achevé ce discours, qu’ayant ouvert la bouche fort grande, je vis sortir du fond de son gosier le Roi de ces petits animaux en forme de rossignol. Le grand Homme tomba aussitôt, et en même temps tous ses membres par morceaux s’envolèrent sous la figure d’Aigles. Ce Rossignol, créateur de soi-même, se percha sur la tête du plus beau d’entre eux, d’où il entonna un air admirable avec lequel je pense qu’il me disoit adieu. Le véritable Rossignol prit aussi sa volée, mais non pas de leur côté, ni ne monta pas si haut. Aussi je ne le perdis point de vue ; nous cheminions à peu près de même force ; car comme je n’avois pas dessein d’aborder plutôt une terre que