Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/268

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Je remarquai parmi la foule une Pie, qui tantôt deçà, tantôt delà, voloit et revoloit avec beaucoup d’empressement, et j’entendis qu’elle me cria que je ne me défendisse point, à cause que ses compagnons tenoient déjà conseil de me crever les yeux. Cet avertissement empêcha toute la résistance que j’aurois pu faire ; de sorte que ces Aigles m’emportèrent à plus de mille lieues de là dans un grand bois, qui étoit (à ce que dit ma Pie) la ville où leur Roi faisoit sa résidence.

La première chose qu’ils firent fut de me jeter en prison dans le tronc creusé d’un grand chêne, et quantité des plus robustes se perchèrent sur les branches, où ils exercèrent les fonctions d’une compagnie de soldats sous les armes.

Environ au bout de vingt-quatre heures, il en entra d’autres en garde qui relevèrent ceux-ci. Cependant que j’attendois avec beaucoup de mélancolie ce qu’il plairoit à la Fortune d’ordonner de mes désastres, ma charitable Pie m’apprenoit tout ce qui se passoit.

Entre autres choses, il me souvient qu’elle m’avertit que la populace des Oiseaux avoit fort crié de ce qu’on me gardoit si longtemps sans me dévorer ; qu’ils avoient remontré que j’amaigrirois tellement qu’on ne trouveroit plus sur moi que des os à ronger.

La rumeur pensa s’échauffer en sédition, car ma Pie s’étant émancipée de représenter que c’étoit un procédé barbare, de faire ainsi mourir sans connoissance de cause, un animal qui approchoit en quelque sorte de leur raisonnement, ils la pensèrent mettre en pièces, alléguant que cela seroit bien ridicule de croire qu’un animal tout nu, que la Nature même en mettant au jour ne s’étoit pas souciée de fournir des choses nécessaires à le conserver, fût comme eux capable de raison : « Encore, ajoutoient-ils, si c’étoit un animal qui approchât un peu davantage