Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/273

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été condamné à être Roi, et Roi d’un peuple différent de son espèce.

« Si ses sujets eussent été de sa nature, il auroit pu tremper au moins des yeux et du désir dedans leurs voluptés ; mais comme les plaisirs d’une espèce n’ont point du tout de relation avec les plaisirs d’une autre espèce, il supportera toutes les fatigues, et boira toutes les amertumes de la Royauté, sans pouvoir en goûter aucune des douceurs.

« On l’a fait partir ce matin environné de beaucoup de médecins, pour veiller à ce qu’il ne s’empoisonne dans le voyage. » Quoique mon Garde fût grand causeur de sa nature, il ne m’osa pas entretenir seul plus longtemps, de peur d’être soupçonné d’intelligence. Environ sur la fin de la semaine, je fus encore ramené devant mes juges.

On me nicha sur le fourchon d’un petit arbre sans feuilles. Les Oiseaux de longue robe, tant Avocats, Conseillers que Présidens, se juchèrent tous par étage, chacun selon sa dignité, au coupeau d’un grand cèdre. Pour les autres qui n’assistoient à l’assemblée que par curiosité, ils se placèrent pêle-mêle tant que les sièges furent remplis, c’est-à-dire tant que les branches du cèdre furent couvertes de pattes.

Cette Pie que j’avois toujours remarquée pleine de compassion pour moi, se vint percher sur mon arbre, où, feignant de se divertir à becqueter la mousse : « En vérité, me dit-elle, vous ne sauriez croire combien votre malheur m’est sensible, car encore que je n’ignore pas qu’un Homme parmi les vivans est une peste dont on devroit purger tout État bien policé ; quand je me souviens toutefois d’avoir été dès le berceau élevée parmi eux, d’avoir appris leur langue si parfaitement, que j’en ai presque oublié la mienne, et d’avoir mangé de leur main des fro-