Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/290

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qui te parlons  (211) ; et si tu t’étonnes que nous parlions une langue usitée au Monde d’où tu viens, sache que nos premiers pères en sont originaires ; ils demeuroient en Épire dans la Forêt de Dodonne, où leur bonté naturelle les convia de rendre des Oracles aux affligés qui les consultoient. Ils avoient pour cet effet appris la langue grecque, la plus universelle qui fût alors, afin d’être entendus ; et parce que nous descendons d’eux, de père en fils, le don de Prophétie a coulé jusqu’à nous. Or tu sauras qu’une grande Aigle à qui nos pères de Dodonne donnoient retraite, ne pouvant aller à la chasse à cause d’une main qu’elle s’étoit rompue, se repaissoit du gland que leurs rameaux lui fournissoient, quand un jour, ennuyée de vivre dans un Monde où elle souffroit tant, elle prit son vol au Soleil, et continua son voyage si heureusement, qu’enfin elle aborda le globe lumineux où nous sommes ; mais à son arrivée, la chaleur du climat la fit vomir : elle se déchargea de force gland non encore digéré ; ce gland germa, il en crut des chênes qui furent nos aïeux.

« Voilà comment nous changeâmes d’habitation. Cependant encore que vous nous entendiez parler une langue humaine, ce n’est pas à dire que les autres arbres s’expliquent de même ; il n’y a rien que nous autres Chênes, issus de la forêt de Dodonne (212), qui parlions comme vous ; car pour les autres végétants, voici leur façon de s’exprimer. N’avez-vous point pris garde à ce vent doux et subtil, qui ne manque jamais de respirer à l’orée (213) des bois ? C’est l’haleine de leur parole ; et ce petit murmure ou ce bruit délicat dont ils rompent le sacré silence de leur solitude, c’est proprement leur langage. Mais encore que le bruit des forêts semble toujours le même, il est toutefois si différent, que chaque espèce de végétant garde le sien particulier, en sorte que