Page:Cyrano de Bergerac - L autre monde ou Les états et empires de la lune et du soleil, nouv éd, 1932.djvu/336

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de n’être plus la cause de tant de malheurs, si le Courrier n’eût ajouté ensuite que son Maître lui avoit donné charge de m’assurer qu’il n’y avoit rien à craindre, parce que la fournaise de sa poitrine avoit desséché ce déluge. Enfin vous pouvez conjecturer que le Royaume des Amans doit être bien aquatique, puisque entre eux ce n’est pleurer qu’à demi, quand il ne sort de dessous leurs paupières que des ruisseaux, des fontaines et des torrens (252).

« J’étois fort en peine dans quelle machine je me sauverois de toutes ces eaux qui m’alloient gagner ; mais un de mes Amans qu’on appeloit le Jaloux, me conseilla de m’arracher le cœur, et puis que je m’embarquasse dedans ; qu’au reste je ne devois pas appréhender de n’y pouvoir tenir, puisqu’il y en tenoit tant d’autres ; ni d’aller à fond, parce qu’il étoit trop léger ; que tout ce que j’aurois à craindre seroit l’embrasement, d’autant que la matière d’un tel vaisseau étoit fort sujette au feu ; que je partisse donc sur la mer de ses larmes, que le bandeau de son amour me serviroit de voile, et que le vent favorable de ses soupirs, malgré la tempête de ses rivaux, me pousseroit à bon port.

« Je fus longtemps à rêver comment je pourrois mettre cette entreprise à exécution. La timidité naturelle à mon sexe m’empêchoit de l’oser ; mais enfin l’opinion que j’eus que si la chose n’étoit possible, un Homme ne seroit pas si fou de la conseiller, et encore moins un amoureux à son amante, me donna de la hardiesse.

« J’empoignai un couteau, me fendis la poitrine ; déjà même avec mes deux mains je fouillois dans la plaie, et d’un regard intrépide je choisissois mon cœur pour l’arracher, quand un jeune Homme qui m’aimoit survint. Il m’étale fer malgré moi, et puis me demanda le motif de cette action qu’il appeloit désespérée. Je lui en fis le